Le temps suspendu

L’éternité au creux de mon Souffle. La recherche patiente, légère, du temps présent par l’attention aux petites, toutes petites choses, aux ressentis si subtils soient-ils, aux couleurs, à la brise, à toute forme de vie… Et lorsque par une grâce infinie (que certain.e.s appelleraient divine), on touche à cet instant d’éternité, alors la Joie se propage dans chacune de nos cellules, comme de fines bulles remontant à la surface.

C’est à cet instant de Joie et d’Eternité que nous invite le temps de Rien d’Eva Ruchpaul après la posture et c’est aussi cette Joie pure et scintillante que La Bêcheuse, mon amie de longue date, nous décrit si bien dans ce texte que je vous livre avec son autorisation. Vous retrouverez d’ailleurs toutes ses formidables chroniques ainsi que son travail d’artiste sur son site Dans le bac à sable

Mais… quelle idée, de chasser les papillons, pour ensuite les immobiliser dans une vitrine à l’aide d’une épingle. A des fins de connaissance, passe encore, mais sinon, je ne vois pas. Se repaître à volonté des dessins colorés qui ornent leurs ailes fragiles ? Alors, dessinez !

Il est assez beau, beige et marron. Je n’ai pas pris le temps de l’observer pleinement alors je ne pourrai pas en décrire plus. Il est coincé à l’intérieur de ma maison, littéralement scotché sur la vitre de la fenêtre du salon, que j’ouvre pour faire sentir à l’animal l’air de la liberté. Rien n’y fait : il s’envole timidement et revient inexorablement sur la froide surface.

Quel con pensais-je, dans une légère montée de cette délicate bienveillance dont j’ai le secret. J’essaie de le pousser dehors avec ma main, il est tellement léger que je ne le sens pas sur ma peau et… toujours pas.

Les tentatives d’évasion sont certes plus prononcées, mais assez désordonnées et complètement inefficaces. Je prends un masque anti-covid en attente de lavage – il ne faudrait pas les laisser traîner comme ça, d’ailleurs – et j’intensifie mon intention libératrice.

Le papillon trouve la sortie, il zigzague dans l’encadrement de la fenêtre, ne va pas bien loin, pas bien vite. C’est idiot, je m’attendais à un vol énergique, puissant, témoignant de l’ivresse de la liberté retrouvée… mais c’est un papillon et par conséquent, il papillonne.

Il se rapproche erratiquement du chèvrefeuille et soudain croise le chemin d’un de ses congénères. Ils entament une danse joyeuse et folle de salutations, frôlements, éloignements, croisements, puis sortent de mon champ de vision.

Je souris soudainement large, très très large. J’ai rendu possible les retrouvailles de deux êtres probablement désespérés, ben oui, par leur séparation. J’essaie de mémoriser les sensations physiques de cet instant anodin, cet instant plein de rien. En ce samedi matin où je me demandais ce que j’allais faire de ma journée, pendant un court moment je me suis laissée porter par ce qui était sous mes yeux, j’y suis entrée, je n’y ai pas fait grand chose, j’ai récolté beaucoup.

Tout ça n’a pas duré bien longtemps, pourtant la joie ressentie était forte. La théoricienne qui est en moi s’engouffre dans cette trop belle occaze de la ramener, et me dit : « vois-tu, petite padawane bêcheuse, les bénéfices de toute chose entreprise sont probablement proportionnels à l’attention qu’on y a porté, indépendamment de la taille et de la durée de ladite chose ».

C’est cool, non ?